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Grossesse,  Sommeil

Impact de la caféine et de l’alcool sur le sommeil et le développement du fœtus

Petite introduction au sommeil

Deux facteurs déterminent l’envie de dormir :

  • Le rythme circadien, sous le contrôle de l’horloge interne de 24 h située dans le cerveau, via la sécrétion d’une hormone appelée la mélatonine.
  • La montée d’adénosine, une substance chimique présente dans le cerveau, et dont la concentration augmente chaque minute de veille. Au pic d’adénosine, qui survient après 12 à 18 h d’éveil, nous ressentons un besoin irrépressible de dormir.

Bref aperçu des différentes phases de sommeil :

Il existe deux grandes phases de sommeil qui se répartissent en cycles d’environ 90 min tout au long de la nuit:

  • Le sommeil lent (ou « non-REM* »), lui-même divisé en 3 phases : l’endormissement, le sommeil lent léger, le sommeil lent profond.
  • Le sommeil paradoxal (ou « REM* »). C’est durant cette phase que se produisent les rêves.

*REM : de l’anglais Rapid Eye Movement,  décrivant les mouvements oculaires rapides qui se manifestent le sommeil REM/paradoxal

Pourquoi le sommeil est-il nécessaire ?

Les vertus du sommeil sont très nombreuses : il contribue au maintien de la santé cognitive (la mémoire), cardiovasculaire et respiratoire, intervient dans l’équilibre métabolique et énergétique, améliore les défenses immunitaires, protège contre maintes maladies telles que le cancer, la démence ou encore le diabète, repousse le rhume et la grippe, contribue à l’équilibre émotionnel (réduit le risque d’anxiété et de dépression), intervient dans la régulation de la température corporelle, et favorise la créativité.

Chez le fœtus, le sommeil est omniprésent : sur 24 h, le fœtus bénéficie, pendant les premières semaines, de 6 h de sommeil lent, 6 h de sommeil paradoxal, et 12 h d’un état de sommeil intermédiaire.  Lors des 2e et 3e trimestres de grossesse, la proportion de sommeil paradoxal augmente, celui-ci étant vital dans la formation des circuits neuronaux (la synaptogénèse, ou création de synapses).

synapses

[Image par OpenClipart-Vectors de Pixabay]

La perturbation ou la détérioration du sommeil paradoxal n’est pas sans conséquence sur le cerveau en développement de l’enfant, avant ou après terme. C’est ce qu’ont découvert des chercheurs qui se sont intéressés, dans les années 1990[1], à l’impact du blocage de sommeil paradoxal sur le retard du progrès gestationnel. En effet, ils ont pu observer que la privation de sommeil paradoxal chez les bébés rats bloque la construction du cortex cérébral (le cerveau primitif) et la création de synapses (connexions neuronales). Il est important de noter qu’une fois que les bébés rats peuvent à nouveau jouir de sommeil paradoxal, le retard dans leur développement cérébral n’est jamais rattrapé. Le développement reprend, mais ne s’accélère pas.

D’autres études ont par ailleurs observé une corrélation entre la diminution de sommeil paradoxal et le développement de troubles du spectre de l’autisme du fait d’une synaptogénèse anormale (création d’une quantité trop importante de connexions dans certaines parties du cerveau et défaillance des connexions neuronales dans d’autres)[2].

Nous approfondirons tous ces points dans de prochains articles traitant du sommeil.

Effets de la caféine sur le sommeil

La caféine se fixe sur les récepteurs (sites d’accueil) de l’adénosine dans le cerveau et les rend inactifs. La caféine atteint son effet maximal après 30 minutes, mais elle a une demi-vie de 5 à 7 h ! Cela signifie qu’après 5 à 7 h, la moitié de la caféine absorbée est éliminée par l’organisme. Et qu’après une nouvelle tranche de 5 à 7 h, la moitié de la quantité restante de caféine est éliminée, et ainsi de suite.

La caféine est dégradée petit à petit par une enzyme du foie, qui fonctionne plus efficacement chez certaines personnes que chez d’autres. Cette dégradation devient plus lente avec l’âge.

La présence de caféine dans le corps (et le cerveau) empêche l’atteinte d’un sommeil profond et efficace. Ce qui augmente les effets pervers du manque de sommeil.

Des résultats plus que surprenants sont ressortis d’études réalisées par la NASA[3] dans les années 1980 dans le but d’observer les toiles tissées par des araignées exposées à différentes drogues. Parmi ces drogues se trouvaient le LSD, le speed (amphétamines), la marijuana et la caféine. Les chercheurs ont noté que les araignées étaient incapables de tisser une toile normale ou logique, ou ne fût-ce que susceptible de leur être utile, après avoir absorbé de la caféine, même en comparaison avec les autres drogues dures.

Figure 1 – Effets de diverses drogues sur la construction de toiles d’araignées

[Source: “Pourquoi nous dormons, le pouvoir du sommeil et des rêves“, Dr Matthew Walker”, 2017]

Une autre étude plus récente datant de 2013[4] a mis en avant certains effets néfastes de la consommation de café par des souris femelles pendant leur grossesse sur le cerveau de leur progéniture. Les chercheurs ont découvert que cette substance affectait le cerveau en développement, entraînant chez les souriceaux une plus grande sensibilité aux crises d’épilepsie et des problèmes de mémoire.

Bien que ces études aient recours à des modèles animaux, elles posent la question des conséquences de la consommation de caféine sur le cerveau, tant chez l’adulte que chez le fœtus.

En effet, comme décrit dans cet article qui se penche plus en profondeur sur l’étude de 2013, les substances psychoactives (caféine, antidépresseurs, anxiolytiques, nicotine, alcool et autres drogues récréatives comme le cannabis, l’héroïne, la cocaïne, etc.) consommées pendant la grossesse peuvent affecter la construction du cerveau du fœtus. Ces substances se fixent sur des molécules qui jouent un rôle clé dans le développement cérébral et empêchent la migration de certaines cellules neuronales vers les régions cérébrales dans lesquelles elles sont destinées à fonctionner.

Effets de l’alcool sur le sommeil

verres de vin

On a vu plus haut l’importance cruciale que jouait le sommeil paradoxal sur le développement du cerveau du fœtus et du jeune enfant.

Il faut savoir que l’alcool est l’un des suppresseurs de sommeil paradoxal les plus puissants que l’on connaisse.

Il traverse facilement la barrière du placenta pour arriver jusqu’au fœtus, et est également facilement absorbé par le lait maternel, dans lequel on retrouve une concentration d’alcool identique à celle du sang de la mère !

Une étude sur des mères alcooliques ou buvant beaucoup pendant leur grossesse a montré que les nouveau-nés dorment bien moins longtemps d’un sommeil paradoxal actif que les bébés du même âge nés de mère n’ayant pas bu pendant leur grossesse. En outre, la qualité électrique du sommeil des bébés nés de mères alcooliques est bien plus mauvaise : ces derniers présentaient une réduction de 200 % de l’activité électrique « vibrante » du sommeil paradoxal para rapport aux enfants nés de mères non consommatrices d’alcool.[5]

Mais ce n’est pas tout. Des études épistémologiques ont démontré l’existence d’un lien entre la consommation d’alcool pendant la grossesse et l’augmentation pour l’enfant du risque de contracter une maladie neuropsychiatrique, dont l’autisme.[6]

À ce stade, se pose la question des femmes enceintes buvant un ou deux verres de vin occasionnellement pendant leur grossesse. Par le biais de lectures du rythme cardiaque du fœtus et de mesures des mouvements du corps, des yeux et de la respiration, des chercheurs ont pu déterminer que l’alcool réduisait significativement le temps et l’intensité du sommeil paradoxal chez le fœtus par rapport aux journées sans alcool. En outre, les futurs bébés présentaient un creux respiratoire important pendant le sommeil paradoxal lorsque leur mère avait consommé de l’alcool.[7]

Enfin, chez les bébés allaités par des mères ayant bu un ou deux verres d’alcool, l’on a remarqué une fragmentation du sommeil et une baisse de 20 à 30 % du sommeil paradoxal des bébés. Des chercheurs ont pu observer les tentatives désespérées des fœtus et des nouveau-nés de récupérer à tout prix leur manque de sommeil paradoxal[8]. Les effets à long terme de l’interruption du sommeil paradoxal chez le fœtus ou le nouveau-né ne sont toutefois pas encore pleinement compris, mais on sait qu’une réduction du sommeil paradoxal chez les nouveau-nés animaux entrave ou déforme le développement du cerveau, créant des adultes socialement inadaptés.

Conclusion

Toutes ces recherches montrent qu’une dose, même faible, de caféine ou d’alcool a des effets bien moins bénins que ce que l’on pourrait penser.

Il me semble important que de telles informations soient diffusées auprès des futures mères.

Cessons de relayer les fameux mythes selon lesquels un bébé allaité bénéficie d’un apport plus important de lait ou dort mieux lorsque sa mère a bu un verre de bière. C’est tout le contraire qui se produit : son sommeil est plus fragmenté. Et, cerise sur le gâteau, on sait aujourd’hui que l’alcool inhibe le réflexe de montée du lait, entraînant une chute temporaire du rendement laitier. À bon entendeur… !

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Sources:

[1] Étude mentionnée par le Dr Matthew Walker dans son ouvrage « Pourquoi nous dormons, le pouvoir du sommeil et des rêves », 2018, p. 88.

[2] S. Cohen, R. Conduit, S.W. Lockley, S.M. Rajaratman et K.M. Cornish, “The relationship between sleep and behaior in autism spectrum disorder (ASD): a review”, Journal of Neurodevelopmental Disorders, vol. 6, n° 1, 2011, p. 44.

[3] R. Noever, J. Cronise et R. A Reswani, « Using spider-web patterns to determine toxicity », NASA Tech Briefs, vol. 19, n° 4, 1995, p. 82.

[4] Christophe Bernard et son équipe de l’unité 1106 de l’Institut de Neurosciences des Systèmes (Inserm/Université Aix Marseille), in Science Translational Medicine, 7 août 2013.

[5] V. Havlicek, R. Childiaeva et V. Chernick, “ECG frequency spectrum characteristics of sleep states in infants of alcoholic mothers”, Neuropädiatrie, vol. 8, n° 4, 1977, p. 360-373.

[6] A. Ornoy, L. Weinstein-Fudim et Z. Ergaz, « Prenatal factors associated with autism spectrum disorder (ASD) », Reproductive Toxicology, vol. 56, 2015, p. 155-169.

[7] E. J. Mulder, L.P Morssink, T. Van Der Schee et G.H. Visser, “Acute maternal alcohol consumption disrupts behavioral state organization in the near-term fetus”, Pediatric Researc, vol. 44, n° 5, 1998, p. 774-779.

[8] J. A. Mennella et P. L. Garcia-Gomez, « Sleep disturbances after acute exposure to alcohol in mother’s milk », Alcohol, vol. 25, n° 3, 2001, p. 153-158.

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